Francine Brücher (1943 - 2020)

La fondation SWISS FILMS pleure la perte de sa collaboratrice de longue date qui s’est éteinte le 6 mai dernier à Munich. Trois de ses compagnons de route se souviennent de la pionnière de la promotion du cinéma suisse.

11.05.2020

La fondation SWISS FILMS pleure la perte de sa collaboratrice de longue date qui s’est éteinte le 6 mai dernier à Munich. Trois de ses compagnons de route se souviennent de la pionnière de la promotion du cinéma suisse.

Josefa Haas, SWISS FILMS, Présidente du conseil de la fondation :

« Avec Francine, nous perdons une amie du cinéma qui savait nous prendre la main lorsqu’il s’agissait de déceler quel film devait être mis en rapport avec quel contact afin de lui permettre de trouver le meilleur chemin vers un public international. Elle m’a à moi aussi appris avec attention les mécanismes des marchés internationaux du film. En tant que grande dame de la promotion internationale, elle était toujours présente sans se mettre en avant, abordant un sourire amical qui invitait à l’échange. SWISS FILMS et le cinéma suisse lui doivent de nombreux coups de pouce tout aussi doux qu’efficaces et qui ont épaulé le succès international des films suisses. »

Christian Frei, cinéaste et producteur :

Francine Brücher (26.1.1943 - 6.5.2020) : La grande dame de la promotion cinématographique suisse est décédée à Munich  

« Francine a grandement contribué à la carrière internationale d’un grand nombre de films suisses. Elle nous a littéralement pris par la main. Au milieu de la foule et des grondements propres aux festivals et aux marchés du film, baignés d’excitation et de superficialité, elle nous accompagnait avec son calme, sa souveraineté, son âme et sa ténacité, dans un merveilleux et précieux anachronisme.

Francine Brücher incarnait l’âme de la promotion cinématographique suisse, une citoyenne du monde loin de toute provincialité. Le cinéma suisse lui doit beaucoup. Ses innombrables contacts et amitiés ont grandement contribué à ce que nos films soient reconnus, qu’ils trouvent des distributeurs internationaux et qu’ils se fassent inviter à des festivals. Tant de dévouement nécessite un moteur. Et la source à laquelle Francine puisait son énergie était son amour pour le cinéma et ses cinéastes.

Francine possédait les nationalités allemande et française. Elle a travaillé en qualité de professeur de langues à Hambourg et à New York avant de se tourner vers le cinéma en 1972. C’était alors la grande époque des films d’auteurs allemands et, en tant que responsable de la distribution au niveau mondial, elle s’en trouvait alors au centre : Rainer Werner Fassbinder, Wim Wenders, Werner Herzog, Alexander Kluge. En 1986, elle a été nommée directrice des ventes chez Metropolis Film à Zurich. Après une pause d’une année en Guadeloupe, elle a dirigé, à partir de 1994, le marché du film à Locarno et a œuvré pour de nombreux festivals. En 1997, elle est arrivée en tant que Sales & Marketing Consultant au Centre suisse du cinéma. En 2004, le Centre suisse du cinéma a fusionné en SWISS FILMS et Francine en est devenue alors Head of International Promotion. Sur base de mandats, elle a continué de travailler après sa retraite et ce jusqu’à la fin 2010.

Cette nouvelle étape n’a pas été chose aisée pour elle. Un autre défi fut la détection d’un cancer, il y a sept ans de cela. Mais, aux côtés de son fils Jérôme, elle a su profiter d’une période remplie et heureuse à Munich.

Francine... tu nous manques. Merci de tout cœur pour ton engagement !»

 

Micha Schiwow, ancien directeur de SWISS FILMS:
Une coupe pour Francine

« Le cinéma, c’était le monde de Francine, le cinéma d’auteur précisément, les films et celles et ceux qui les font. Elle venait de France, du fin fond du Berry, vivait à Munich et à Zurich, se donnant quinze années durant à fond pour le cinéma suisse, sans avoir elle-même le passeport rouge. Car Francine appartenait au monde du cinéma, celui qui ne connaît pas de frontières, qui réunit les gens au lieu de les diviser. Il fallait voir à Berlin ou à Cannes comment dans les festivals les plus grands du monde elle glissait à travers la foule telle un poisson dans l’eau, elle les connaissait tous : les cinéastes, les directrices et directeurs de festivals, les productrices et producteurs, les attachés de presse… Impressionnant de la suivre au long d’une soirée, aller d’une réception à l’autre, en se rendant compte qu’elle était saluée par tout le monde. Elle connaissait toutes et de tous par leur nom et leur parlait en français, en anglais et en allemand, en se rappelant toujours de la langue commune. Aller dans les réceptions, pour Francine ce n’était pas pour se faire voir comme d’autres le font. Elle avait un but précis ou une idée pour parler à ses connaissances d’un film, d’une jeune réalisatrice ou d’un jeune acteur. Elle prenait visiblement plaisir à reprendre le fil de la conversation là où elle l’avait arrêtéà la dernière rencontre dans un autre lieu. Toujours, elle adorait une coupe de champagne pour trinquer à l’amitié et à la cinéphilie partagée.

J’ai eu la chance de l’accompagner, de bénéficier de son savoir et de ses innombrables connaissances. J’ai pu admirer la facilité avec laquelle elle mettait à l’aise des personnes destinées à se connaître. J’ai été sidéré par son intuition et son art de deviner quels arguments pouvaient faire déclic auprès d’une personne qu’elle avait devant elle pour un bref instant. Francine était infatigable : souvent elle revenait d’un festival outre Atlantique pour repartir le jour même vers un autre à l’autre bout de la planète. Car Francine aimait voyager, surtout en avion, tout autant que se délecter d’une coupe de champagne. Au point que cela faisait parfois jaser d’aucuns : à mi-voix, on lui reprochait de ne faire que du tourisme festivalier. Quelle ignorance ! C’est sans se rendre compte à quel point ces voyages représentaient pour cette femme d’âge mûr un effort, une concentration de tous les instants et l’amenaient parfois et sans qu’elle s’en plaigne, à l’épuisement. Francine a donné sans compter, avec passion elle s’est investie dans ces tournées de « VRP » du cinéma suisse à un moment où nul ne donnait cher à notre cinématographie. Avec conviction et amour tant pour les œuvres que pour les cinéastes, elle s’est donnée à fond dans sa mission. La fameuse montée des marches de Daniel Schmid à Cannes, entouré de Martin Suter et de Géraldine Chaplin, pour présenter « Bérézina ou les derniers jours de la Suisse », elle en était l’artisane sinon la petite main qui agençait tout. Les premiers pas de jeunes producteurs sur le parquet des festivals internationaux ? C’est encore Francine qui les prenait par la main, convenait de rendez-vous et leur présentait des professionnels chevronnés qu’ils n’osaient même pas s’imaginer approcher. La présentation d’un film suisse au festival de Locarno : qui sinon Francine pouvait en parler avec plus de conviction et de passion ?

Francine ne pouvait pas vivre sans le cinéma : ses vacances, bien sûr, elle les consacrait à des festivals situés en dehors des sentiers battus, et quand elle se trouvait, généralement vers la fin de l’année, en villégiature à Miami, elle a toujours eu le souci de rencontrer ses amis créateurs établis en Amérique. Après avoir quitté Swiss Films en même temps que moi, fin 2012, Francine n’a cessé de regarder des films, invitée en tant que conseillère et membre du jury dans de prestigieux festivals, mais aussi en suivant l’actualité dans les salles d’art et d’essai de sa ville de Munich. Je l’ai revue l’an dernier au Festival de Zurich, toujours animée par sa curiosité et sa soif de cinéma. Hélas, ce soir-là, pour le champagne, on a fait choux blanc.

Nous allons tous ensemble, ami*es et collègues, lever un verre à la mémoire de Francine. »

 SWISS FILMS, le 12 mai