La Suisse existe-t-elle? Introduction au programme

Douarnenez
France
20.08 - 27.08.2022

Entendu à la suite de l’annonce de la thématique de la 44e édition du Festival de cinéma de Douarnenez :

– C’est quoi l’an prochain ?
– « Helvètes Underground », on vient de le dire.
– La Suisse ? Ça alors, c’est donc pas une blague !

Ainsi on apprend qu’il y a des pays qui sont des blagues, d’autres des tragédies et c’est là qu’on nous attendait, du côté de la tragédie. Mais la Suisse ne serait-elle pas une « illusion comique » ? Démocratie idéale, paix durable, diversité linguistique et culturelle assumée... le contraire de la France à bien des égards. Sur la question linguistique voici une blague suisse significative : « Comment appelle-t-on quelqu’un qui parle trois langues ? - Un trilingue. Comment appelle-t-on quelqu’un qui parle deux langues ? - Un bilingue. Com- ment appelle-t-on quelqu’un qui ne parle qu’une langue ? - Un Français. »

Nous pourrions aussi partir de cette affirmation provocatrice proposée par l’artiste Ben « La Suisse n’existe pas » au sein du pavillon suisse à l’Exposition universelle de Séville en 1992. Une devise qui fit polémique mais assumée. Elle avait pour objectif de faire découvrir le multiculturalisme de la Suisse.

La Suisse neutre ? Que signifie cette neutralité quand ses banques soutiennent les régimes autoritaires, ne dit-on pas « un dictateur qui meurt c’est une banque suisse qui ferme ». La publication du livre de Jean Ziegler, en 1976, Une Suisse au-dessus de tout soupçon mit à mal le mythe de la neutralité. Il réitéra sa critique en 1990 avec La Suisse lave plus blanc, et enfonça le clou avec la parution en 1997 de La Suisse, l’or et les morts, qui dénonce le soutien financier de la Suisse à la machine de guerre allemande pendant la seconde guerre mondiale. Mais ne pourrait-on pas aller plus loin en interrogeant l’usage de cette neutralité par les autres pays, par le capitalisme mondialisé ?

Les clichés ne manquent pas sur la Suisse : le coucou, Heidi, le chocolat... et sur les Suisses : leur nonchalance (le fameux « il n’y a pas le feu au lac »), tou·te·s les Suisses sont riches, ils sont ponctuels et organisés (on les soupçonne d’être ennuyeux ?)...

La pauvreté n’y est pourtant pas absente : « Corrigé du pouvoir d’achat, le niveau de vie général en Suisse reste l’un des plus élevés d’Europe. Pourtant, début 2020 – avant même le début de la pandémie – le taux de pauvreté se situait aussi à un haut niveau, à 8,5 % de la population. » 1 (rappelons qu’il est de 14,6 % en France)

Le monde ouvrier existe bel et bien et ce depuis longtemps. En 1860, Marc Aviolat, ouvrier typographe faisait cette requête aux dirigeants helvétiques : « Ce que nous vous demandons ce sont les moyens de vivre honorablement, d’élever nous-mêmes nos familles, et de sortir peu à peu de cet état d’infériorité où vous vous complaisez à nous laisser depuis tant de siècles ! » 

La contestation ne s’est pas éteinte. Dans les années 1980, elle s’est incarnée par l’émergence des squats à Genève et Zurich notamment. Elle prend aujourd’hui la forme d’actions en faveur du climat et s’attaque au financement des industries polluantes par les banques suisses.

Si on peut (comme les Suisses eux- mêmes l’on fait) remettre en doute l’exis- tence de la Suisse, on ne peut pas remet- tre en cause l’existence de son cinéma. « Le cinéma suisse, c’est un peu comme la marine suisse : on n’y croit pas. Or les deux existent. » disait le réalisateur Alain Tanner. Non seulement il existe mais il est passionnant et montre une Suisse qui échappe aux clichés ou s’en joue et ne se prive pas de rire d’elle-même.

Les questions de genres, les féminis- mes (en Suisse, le droit de vote a été accordé aux femmes au niveau confédéral en 1971 !) le monde des Sourd·e·s (quid de la Langue des Signes dans un pays multilingue ?) font partie des préoccupations fondamentales du festival et seront donc bien présentes. Le jeune public y aura sa place, nous affirmons notre volonté de lui donner accès à la programmation mais aussi de l’impliquer.

À travers Regards d’ici, nous souhaitons renouveler l’approche du cinéma de Bretagne, renforcer le dialogue entre l’ici et l’ailleurs à travers la programmation de films coproduits entre la Suisse et la Bretagne, un focus sur l’œuvre de la cinéaste Marie Hélia, une sélection subjective de quelques films récents... une réflexion est en cours, avec l’association partenaire Daoulagad Breizh, pour aller plus loin dans la mise en lumière du cinéma de Bretagne sans l’enfermer dans des frontières trop étroites.

Nous, association Festival de cinéma de Douarnenez 

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